Friday, September 01, 2006

Pourquoi la communauté intergenre est-elle si importante pour la communauté intersexe?

par Curtis E. Hinkle
Traduit de l’anglais par Édith Nagant, OII-Belgique et Luxembourg

Souvent les personnes parmi nous qui sont intersexuées et qui manifestent aussi leur identité intergenre sont marginalisées non seulement par la société au sens large, mais aussi par la communauté intersexe. Il est temps que nous prenions la place qui nous revient et exprimions nos propres opinions sur l’importance de notre présence. Nous devons nous extérioriser et résister aux tentatives d’effacement de notre identité à la fois à l’intérieur du mouvement intersexe et aussi en dehors de celui-ci. Notre intégration dans la société est cruciale pour mettre fin à l’oppression sous-jacente subie par beaucoup de personnes en raison de leurs différences et pas seulement par la communauté intersexe.

Une des raisons invoquées par les militants intersexes pour rejeter celles et ceux d’entre nous qui sont intergenres est que nous sommes insignifiant-e-s parce que nous représentons une minorité. D’abord, comment le savent-ils/elles? Regarder uniquement dans son petit cercle d’ami-e-s intersexué-e-s et extrapoler des généralisations d’après une communauté très fermée, est très trompeur. Il existe de très nombreuses personnes dans le monde entier qui s’identifient comme intergenres. Je n’accepte pas le postulat que celles et ceux parmi nous qui ont une identité intergenre sont une minorité. Et même si nous l’étions? Est-ce une raison pour nous rejeter ainsi que nos problèmes? Si c’est ainsi, alors la société peut parfaitement et avec raison rejeter les intersexué-e-s puisque d’après la définition donnée par les experts, il s’agit d’une toute petite catégorie de personnes.

Si de soi-disant “spécialistes" définissent l’intersexuation d’une manière tellement limitée, c’est afin d’effacer à peu près toutes les ambiguïtés qui ne confirment pas la catégorisation binaires du sexe qui a été construite dans notre société. C’est la même raison qui pousse les gens, y compris les militant-e-s intersexes, à effacer l’intergenre. Ils/elles ne sont pas plus à l’aise avec une ambiguïté de genre que la société ne l’est vis à vis d’une sexuation ambiguë. Mais, qu’est-ce qui est vraiment ambigu, une identité intergenre ou les définitions que nous utilisons pour définir le genre? Pour la même raison que l’intersexuation est vue comme ambiguë, l’ambiguïté de genre attribuée aux individus intergenres ne vient pas de la personne mais bien du point de vue binaire erroné avec lequel les autres nous considèrent.

Une autre raison inquiétante pour laquelle de nombreux militant-e-s et "spécialistes " rejettent l’intergenre est le résultat direct de leur insistance sur une définition très essentialiste de ce que c’est que d’être intersexué-e. Apparemment ils/elles ont un intérêt particulier à exclure le plus possible de personnes de leur catégorie "spéciale". Ceci peut paraître très bizarre pour un groupe aussi marginal que celui des intersexué-e-s, mais c’est un fait. Pourtant, le danger pour le mouvement intersexe ne vient pas de la communauté intergenre, mais des idées particulièrement essentialistes concernant l’intersexuation que de nombreux militants propagent, basées sur des définitions biologiques et pathologiques qui non seulement effacent notre existence, en étant tellement limitatives, mais justifient également l’élimination de toute "ambiguïté" et aussi de toute forme d’intersexuation.

Personne n’a de problème avec l’idée que la plupart des gens qui ont une identité de genre masculine sont de sexe masculin et personne ne le conteste. N’est-ce pas une supposition rationnelle que la plupart des personnes qui ont une identité intergenre sont en fait intersexué-e-s (c’est-à-dire de sexe intermédiaire)? Je le pense. Devrais-je exiger des preuves médicales qu’i-elles sont intersexué-e-s? C’est absurde. Je ne demanderais jamais qu’un homme ou une femme me fournisse une preuve médicale qu’il ou elle est bien un homme ou une femme. Cela servirait à quoi? Homme, femme et intersexué-e ne constituent pas une catégorisation discrète. Il n’y a pas de limite claire entre la fin d’une catégorie et le début d’une autre. Pourquoi ne pas laisser la personne me dire qui et ce qu’i-elle est? Je pense que la personne elle-même serait beaucoup plus exact qu’un quelconque expert extérieur qui, très probablement, considère l’intersexuation comme une pathologie rare comme le font la plupart des experts médicaux – un point de vue qui n’est pas scientifique et que les généticiens n’acceptent pas.

Si nous voulons agrandir notre communauté et notre visibilité, la communauté intergenre est essentielle. Il n’est pas possible d’exister socialement sans avoir un genre. Le genre est comment nous nous percevons en relation avec les autres dans un contexte social. En d’autres termes, c’est notre interprétation la plus basique de notre place d’après ce que nous ressentons et comment nous nous identifions au plus profond de nous-mêmes. Minimiser l’intergenre est l’une des méthodes les plus efficaces pour faire disparaître la communauté intersexe parce que cela perpétue le refus de voir la diversité naturelle et l’intolérance qui sont parmi les principales causes des mutilations génitales des intersexué-e-s et des autres points de vue pathologiques de l’intersexuation. Ne serait-il pas plus sain pour la société de se préoccuper des variations existant dans la population humaine plutôt que de continuer à voter des lois, à prendre des décisions médicales et à faire intrusion dans notre vie privée afin d’imposer des normes qui ne correspondent pas à la plupart des gens? Je crois que ce le serait et ce faisant, nous déconstruirions de plus la structure binaire de la sexuation qui est à la base du concept binaire de genre.

Une autre contribution importante que les militant-e-s intergenres apportent à l’activisme intersexe vient de leur insistance à être considéré-e-s entièrement comme des personnes, pas seulement comme des corps. La présence des personnes intergenres nous oblige de détourner notre attention du corps et de la notion essentialiste de qui nous sommes pour un concept plus basique de comment nous nous percevons réellement et où nous trouvons notre place. Les militant-e-s intersexes qui restent focalisé-es principalement sur le corps et sur les traumatismes subis oublient souvent d’intégrer les besoins de la personne qui se trouve dans ce corps une fois adulte. Pour ces activistes, l’identité de genre ne sert pas à grand-chose finalement.



On ne peut pas être considéré comme humain et intersexué-e légalement. Pour exister légalement comme être humain, il faut être categorisé-e soit comme homme soit comme femme. En entendant ce que disent les intergenres, on commence à comprendre la frustration d’être réduit-e-s au silence et mutilé-e-s psychologiquement dans ce système binaire. Il faut nous permettre de parler pour nous-mêmes et d’insister sur le fait que non seulement l’intersexuation existe mais l’intergendérisme aussi – le genre d’une grande partie de l’humanité. De plus en plus de personnes se rendent compte qu’elles sont ni hommes ni femmes, mais intergenres. Leur solidarité envers nous permettra d’éliminer une bonne partie de la stigmatisation associée à l’intersexuation aussi.

Voici sans doute la contribution la plus importante des militant-e-s intergenres. Nous obligeons clairement la société à prendre en compte le fait qu’il n’y a pas que notre corps qui est mutilé. Notre identité l’est aussi souvent. C’est quelque chose que beaucoup de gens peuvent comprendre parce qu’il est évident pour une grande partie de l’humanité que la construction sociale actuelle binaire du sexe et du genre les opprime et les empêche de devenir réellement et totalement eux-elles-mêmes comme membres à part entière de la société. Ceci fait augmenter notre visibilité et la solidarité des autres dont nous avons tant besoin pour survivre. La plupart des gens savent que les stéréotypes de genre sont dangereux et que cela n’affecte pas que les personnes intersexes. Nous invitons nos plus proches allié-e-s que sont les intergenres à se joindre à nous. I-elles comprennent l’effacement dont nous sommes l’objet, le silence qui nous est imposé. Si chacun-e est seulement un homme ou une femme avec une identité masculine ou féminine, alors à quoi sert vraiment le militantisme intersexe? Qu’avons-nous à offrir à la société si nous arrêtons quelques traitements médicaux et disparaissons à nouveau tandis que la société continue à nous catégoriser de force et insiste pour que nous respections des normes qui ne sont ni réalistes, ni naturelles, en utilisant violence et propagande sexiste pour conserver ce système inhumain?

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